Homophobie en Seine-Maritime, les couples homosexuels ne peuvent adopter que des enfants « atypiques » (le point sur l’affaire)

Indigné, choqué, sidéré… De nombreux mots ont été écrits et prononcés pour qualifier une situation qui semble perdurer depuis de nombreuses années au service adoption du Conseil Départemental de la Seine-Maritime.
Même après l’ouverture de l’adoption aux couples homosexuel.le.s, une homophobie rampante semble avoir pris pieds dans nos institutions.
Retour et analyse sur cet épisode pas si atypique que cela…

Homophobie en Seine-Maritime, les couples homosexuels ne peuvent adopter que des enfants « atypiques »

Lors d’un entretien radio à France Bleu Normandie, lundi 18 juin, Pascale Lemare, responsable du service adoption du Conseil Départemental de la Seine-Maritime a prononcé des propos polémiques à l’encontre des couples homosexuels. Pascale Lemare déclarait que ces couples « eux-mêmes (…) un peu atypiques par rapport à la norme sociale mais aussi la norme biologique » devaient accepter « des profils d’enfants atypiques « , c’est-à-dire  « ceux dont personne ne veut, parce qu’ils sont trop cassés, trop perturbés psychologiquement, trop grands, handicapés » et de conclure : « Les couples homosexuels ne sont pas exclus mais ils ne sont pas prioritaires »
La loi du 17 mai 2013 sur le Mariage pour Tous donne les mêmes droits aux couples et célibataires qu’ils soient homosexuels ou hétérosexuels. C’est la théorie. Côté pratique, c’est une autre histoire.
En France, comme dans beaucoup de pays, les demandes d’adoption sont beaucoup plus nombreuses que les enfants adoptables. Environ 1 500 enfants sont adoptés chaque année alors que 16.000 familles sont en attente… mais beaucoup d’enfant ne sont pas adoptés, plus de 50% des pupilles restent seul.e.s. Les critères de sélection doivent être très strictes dans l’intérêt de tous mais encore faut-il que l’instruction des dossiers soient traités à égalité entre homos et hétéros.

Homophobie en Seine-Maritime, les couples homosexuels ne peuvent adopter que des enfants « atypiques »

Pour les couples homosexuels, « des enfants dont personne ne veut »

Après l’interview de France Bleu, le Président du Département, Pascal Martin, a condamné « fermement, et sans réserve les propos tenus visant à créér une différence de droits entre les candidates et candidats à l’adoption. La lutte contre l’homophobie s’inscrit pleinement dans les politiques départementales…. » et d’ajouter : « Ni les couples hétérosexuels, ni les couples homosexuels ne sont prioritaires dans l’adoption. Tous les dossiers présentés par les candidates et candidats à l’adoption sont examinés de manière non discriminatoire. À aucun moment, le Département ne considère les couples homosexuels comme atypiques. De la même manière, chaque enfant est différent et tous ont le même droit à l’adoption. ».
Bien que jugeant les propos de la fonctionnaire « d’un autre temps« , la Préfète de la région Normandie, Fabienne Buccio, a tenté, maladroitement, de calmer la situation par ses déclarations à la presse (Paris-Normandie) : « Il ne faut pas juger l’ensemble d’une collectivité et d’un service sur des déclarations malheureuses (sic!) ». Interrogée sur les témoignages de couples homosexuels ayant vécu une discrimination sur leur dossier d’adoption, la Préfète a déclaré être « prudente » sur ces témoignages : « il y a toujours des gens pour lesquels le dossier est acceptable, d’autres pour lesquels on refuse, avec de bonnes raisons de le faire et derrière cela peut être interprété différemment ».

Homophobie en Seine-Maritime, les couples homosexuels ne peuvent adopter que des enfants « atypiques »

Durant plusieurs jours les témoignages dans la presse écrite, les réseaux sociaux et les chaines d’infos se sont multipliés. Une polémique devenue très vite virale.

Associations et élus en première ligne

Les propos de l’exécutif départemental et de la Préfète n’ont pas totalement convaincue ni les élus locaux ou nationaux, ni les associations LGBTI qui attendent des actes concrets.
Des associations ont décidé de porter plainte comme l’Association des Familles Homoparentales (ADFH) par la voix de son président Alexandre Urwicz : « on a porté plainte et envoyé tous les éléments au procureur de Rouen. Les couples homosexuels ne sont pas des sous-citoyens qui devraient se voir réserver un traitement particulier en matière d’adoption. Ils doivent bénéficier du même traitement que les couples hétérosexuels« .
L’ADFH s’est étonnée que le conseil départemental de la Seine-Maritime « puisse maintenir au poste de Responsable de l’Adoption une telle personne qui a, par le passé déjà ouvertement dénigré l’adoption homoparentale, notamment à l’occasion de son livre « homoparents : où est la différence ?». Elle y écrivait alors, à propos d’un enfant qui pourrait faire l’objet d’une adoption par un couple de même sexe : «on l’expose à des difficultés psychologiques» car il lui faudrait un modèle familial dans lequel « le petit garçon a besoin de se valoriser dans une relation avec une image d’homme qui le virilise, et la petite fille avec une image qui incarne la féminité.». Elle dénie ainsi, par principe et de manière définitive toute possibilité d’adoption d’un garçon par un couple de femmes ou d’une fille par un couple d’hommes. »

Homophobie en Seine-Maritime, les couples homosexuels ne peuvent adopter que des enfants « atypiques »

L’association LGBT rouennaise, Gay’T Normande, tout comme le GETIN (groupe d’entraide transgenre et intersexe Normandie) ont déploré et condamné les propos tenus par Pascale Lemare : « Elle insulte non seulement les couples homosexuels mais aussi les enfants adoptables ! Un enfant, même « atypique », devrait-il devenir un sous-être ?« . « Voilà un bel exemple de vision du droit supérieur de l’enfant dans ce type de discours nauséabond », ajoute le président de Gay’T Normande, Thomas Leroy
Le Centre LGBTI de Normandie a également vivement réagi : « Nous sommes scandalisés. On avait déjà entendu des choses à propos de la politique d’adoption du département mais cela restait du domaine de la rumeur » a confié Géraldine Chambon à l’AFP.
Le représentant de l’association Enipse sur la prévention de la santé sexuelle, Benjamin Duval, a demandé que tous les dossiers des refus d’adoption des couples homosexuel.les soient réexaminés.
L’association HES (Homosexualité et Socialisme) par la voix d’Arnaud Hadrys (conseiller départemental suppléant) a déclaré « La Droite Seino-Marine affichait le 17 mai dans le cadre de la journée internationale de Lutte contre l’Homophobie les couleurs LGBTI de la tolérance avec le Rainbow sur la Tour des Archives du Conseil Départemental à Rouen. Pourtant dans les faits, des pratiques douteuses perdurent en son sein et nous demandons des explications et une action politique corrective de ses représentant-e-s (…) pour que cesse cette discrimination inacceptable ! »
Le groupe Socialiste de la Seine-Maritime a également condamné les propos de la responsable du service adoption du Département et a demandé une évaluation de la gestion par les services départementaux des démarches d’adoption. Le Président du Département a déclaré plus tard vouloir commanditer un audit externe de ses services. Espérons que les conclusions du rapport seront publiques.

Homophobie en Seine-Maritime, les couples homosexuels ne peuvent adopter que des enfants « atypiques »

Dans la même ligne et plus concrètement, Nicolas Rouly, ancien Président du Département de la Seine-Maritime (PS) et actuellement patron de l’opposition a salué la clarification opérée par l’actuel Président Pascal Martin ainsi que de l’audit annoncé. Néanmoins, il a souligné « la nécessité d’un acte positif, rétablissant au plus vite l’image de (la) collectivité et la confiance envers elle. Nous proposons d’ouvrir aux associations de parents homosexuels les conseils de famille, qui déterminent l’adoption des enfants, comme cela se fait déjà en Loire-Atlantique et dans les Bouches-du-Rhône ». 
Didier Marie, Président du Département de 2004 à 2014 s’est dit « Extrêmement choqué (…) des propos qui discriminent les couples homosexuels dans les procédures d’adoption. Je demande une enquête interne et le rappel des principes de neutralité et de non discrimination de la fonction publique »
Lors des Out d’Or 2018 – prix de la visibilité LGBTI – organisés par l’AJL (journalistes LGBTI), le Défenseur des Droits, Jacques Toubon a annoncé se saisir de cette affaire et d’enquêter sur ces pratiques : « les enfants sont égaux et toutes les familles aussi. » 
La secrétaire d’Etat chargée de l’égalité, Marlène Schiappa, a également condamné ces propos : « aucune discrimination ne saurait être tolérée ».

Sanctions et audit

Deux jours plus tard le 20 juin, Pascal Martin le Président du Département déclare : « À la suite des propos inacceptables de la responsable du service adoption, j’ai décidé de commander un audit externe pour vérifier le fonctionnement du service, et de relever de ses fonctions l’intéressée. Aucune discrimination ne peut-être tolérée ».
Cette suspension reste à titre conservatoire. Une procédure disciplinaire devrait être engagée pour confirmer ou étendre cette sanction.

Homophobie en Seine-Maritime, les couples homosexuels ne peuvent adopter que des enfants « atypiques »

Le jeudi 21 juin, avec des pancartes « atypique » autour du cou, une vingtaine de personnes ont manifesté devant le Département de la Seine-Maritime pour dénoncer les propos homophobes de la la responsable du service adoption. Pour les associations LGBTI, l’agent public s’est rendue coupable aux yeux de la Loi : « Nous interpellerons les salarié.e.s et fonctionnaires sur leurs postures professionnelles, qui se doivent de rester neutres, fidèles à la Loi et aux valeurs républicaines ». Mais la relève de fonction de la responsable du service adoption ne semble pas suffisant pour les représentants des associations : « nous demandons la destitution de Mme Pascale Lemare de toutes fonctions sociales au sein du Département. »
Plus tard, le procureur de la République de Rouen, Pascal Prache, a déclaré « qu’une enquête avait été ouverte ce mercredi pour discrimination ». Cette enquête du Parquet fait suite à la plainte déposée par l’Association des Familles Homoparentales et vise la responsable du service de l’adoption qui a tenu des propos jugés discriminatoires. D’autres plaintes semblent déjà en préparation par des associations LGBT locales. Selon le code pénal, toute discrimination fondée sur l’orientation sexuelle est passible de trois ans de prison et 45 000 euros d’amende.
Par ailleurs, une rencontre avec des élus du Département et des représentants des associations LGBT est programmée le mardi 26 juin pour évoquer ce dossier.

Homophobie en Seine-Maritime, les couples homosexuels ne peuvent adopter que des enfants « atypiques »

Au-delà de la Normandie…

Cette affaire a dépassé le cadre nationale. Le quotidien espagnol El Pais et les médias LGBT anglo-saxons ont relayé cette polémique.
Les militant.e.s de la mouvance Manif Pour Tous & Co, opposé.e.s au Mariage pour Tous et à l’adoption ont profité de l’occasion pour réagir. Sur les réseaux sociaux et notamment Twitter, les internautes ont pu lire à plusieurs reprises : « C’est quand même logique que les couples normaux aient la priorité. C’est vraiment dégueulasse de priver un enfant de père ou de mère… » ou encore « Si des lois très discutables n’avaient pas été votées dans le passé, on ne parlerait pas aujourd’hui de discriminations. »
Au-delà de la Normandie, les associations dénoncent les mêmes discriminations. A Nancy, une enquête avait déjà été ouverte le 17 mai dernier par le Parquet à la suite d’une plainte déposée par la même Association des Familles Homoparentales (ADFH). Le président du Conseil de Famille du département de Meurthe et Moselle avait déclaré en avril dernier : « On n’a rien contre les couples de même sexe, mais tant qu’on aura des couples jeunes, stables, avec un père et une mère, on les privilégie ». Bien que contesté par l’intéressé, ces propos ont été considéré comme discriminatoires par l’association. L’enquête est en cours.

Homophobie en Seine-Maritime, les couples homosexuels ne peuvent adopter que des enfants « atypiques »

Adoption :un agrément peu transparent

L’adoption est aujourd’hui un vrai parcours du combattant avec une procédure peu transparente. L’obtention d’un agrément en vue d’une adoption est un préalable indispensable à la démarche.
L’ensemble de la procédure sur les critères et l’étude des dossiers se réalisent à huis clos. Dans chaque département un « conseil de famille » se réunit et statut à la majorité des membres pour délivrer un agrément. Sous l’autorité du Président du Département ou de son représentant, il y a 8 représentants : deux élus et six personnes qualifiées représentants notamment des associations familiales. Au préalable, les dossiers sont préparés par les services d’adoption des départements.
Par la voix de son président, Alexandre Urwicz, l’Association des Familles Homoparentales a précisé au quotidien Le Monde : « La loi a changé, mais elle n’a pas été accompagnée. Les dossiers des couples homosexuels sont mis en bas de la pile, mais tout se passe dans l’ombre. Seules une dizaine de pupilles de la nation (enfants nés en France et abandonnés) et une dizaine d’enfants nés à l’étranger auraient été adoptés par des couples homosexuels depuis 2013. A l’international, seuls le Brésil, la Colombie et l’Afrique du Sud acceptent d’examiner leurs candidatures. »
Cet avis ne semble pas partagé par Nathalie Parent, présidente d’Enfance et familles d’adoption, principale association de parents adoptifs. Elle a déclaré au journal Le Monde qu’elle n’avait jamais rencontré d’homophobie parmi les membres des conseils de famille : « On m’a dit au contraire que les dossiers de parents homosexuels présentaient souvent une réflexion plus poussée que la moyenne sur la parentalité adoptive ».
Le problème n’est peut-être pas le Conseil de Famille des Département mais l’instruction et la préparation des dossiers par les services administratifs des départements… comme en Seine-Maritime. Des actions de formations et de sensibilisation au sein des services publics nécessiteraient d’être organisées avec l’aide des associations LGBTI.

Reportage

(par Frédéric Borghino et Lucas Prévost – PN)


 

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